Dans l’objectif de renforcer le réseau national des laboratoires pour la surveillance génomique et détection des pathogènes prioritaires, une équipe de la Direction de Laboratoire de Santé (DLS), conduite par le Docteur Abdoulaye Nikiema, Directeur de Integrated Quality Laboratory Services (IQLS) Africa et expert chez DLS, est arrivée le 11 juin 2024 à l’Institut National de Recherche Biomédicale (INRB).
Sous la houlette du professeur Dieudonné Mumba, Chef du Département de Parasitologie à l’Institut National de Recherche Biomédicale (INRB), une séance de travail s’est tenue dans l’une des salles de conférence de l’INRB, entre les représentants de chaque département de l’INRB, l’équipe de la DLS et le Directeur de IQLS.
Afin de permettre à leurs hôtes d’avoir une idée globale sur le travail que fait l’INRB et son rôle dans la détection et la surveillance des maladies, les représentants de chaque département de l’INRB ont tour à tour présenté les activités des différents laboratoires, en ce qui concerne la détection des pathogènes prioritaires et la surveillance génomique en République Démocratique du Congo.
Plusieurs exposés sur les maladies sous surveillance par les équipes de l’INRB ont peint cette séance de travail, entre autres la surveillance environnementale des Poliovirus, la rougeole, la fièvre jaune et Ébola par le Département de virologie, représenté par les Biologistes Yogolelo Riziki et Yvonne Lay.
De la surveillance environnementale des Poliovirus : L’orientation vers la surveillance environnementale est issue de l’approche selon laquelle moins de 1% de paralysies est détecté par la surveillance des Paralysies Flasques Aiguës (PFA) alors que plus de 99% de paralysies de cas asymptomatiques passent inaperçus. Il a été noté que ce laboratoire analyse les échantillons des eaux usées de la RDC mais également ceux du Congo Brazzaville. Les activités de ce laboratoire remontent à Septembre 2017 avec un nombre réduit de sites de prélèvement qui au fil des années a connu une extension, 26 sites pour La République Démocratique du Congo (RDC) et 20 sites pour le Congo Brazzaville. Une brève description de la démarche diagnostic a été expliquée avant de décliner les résultats obtenus lors de trois dernières années : En 2022 (11 cVDPV2 ont été isolés dans les sites du Haut Katanga, Lualaba et Maniema) ; 2023 (46 cVDPV2 isolés dans les sites de Kinshasa, Equateur, Haut Katanga et Lualaba. Notez que 89% des poliovirus ont été isolés de sites environnementaux de Kinshasa) ; en 2024 (1 cVDPV2 du site Pont Moulart à Kinshasa).
Le défi majeur pour ce laboratoire reste l’exiguïté de l’espace dédié aux activités. Son agrandissement est recommandé pour faire face à la charge de travail générée par l’extension de sites de prélèvement qui doit s’étendre à d’autres provinces.
Comme perspective : il est envisagé l’intégration de diagnostic à d’autres agents pathogènes susceptibles d’être véhiculés par les eaux usées de l’environnement.
Répondant aux questions de l’assistance sur la surveillance des PFA ; le Présentateur a stigmatisé le fait que les activités de diagnostic s’étendent aussi bien aux échantillons de selles issus de la RDC qu’à ceux du Congo Brazzaville. Le flux d’échantillons est très important surtout après les campagnes de vaccination. Le Pays est en train de sortir d’une grosse épidémie de 2022-2023 due aux virus dérivés, ceci aux vues de la baisse de cas en ce premier semestre de 2024. Les défis relevés sont : La très faible proportion des échantillons qui arrivent au laboratoire dans les trois jours après le deuxième prélèvement de selles ; les échantillons non accompagnés des fiches d’investigation et vice-versa.
Les isolats sont référés au laboratoire régional (NICD) ou spécialisé (CDC/Atlanta) pour le séquençage. Néanmoins les mêmes virus sont séquencés à l’INRB par une nouvelle méthode de Détection Moléculaire Directe de Poliovirus par le Séquençage avec Nanopore (DDNS) dont les résultats sont concordants. Le processus d’accréditation pour ce laboratoire est en préparation.
Les laboratoires PFA et de la Surveillance environnementale font partie du réseau des laboratoires Polio de l’OMS/Afro et sont soumis annuellement aux tests de compétence et à l’accréditation de l’OMS.
Des activités du laboratoire Rougeole et Fièvre jaune : Le laboratoire a analysé 2828 échantillons de rougeole dont 2339 à l’INRB et 489 par le laboratoire de Lubumbashi. IgM positifs pour la rougeole=50,3% et 4,8% pour la rubéole.
Les zones de santé ayant prélevé les échantillons de sang : 280 ; 4,16% d’échantillons ont été reçus dans les 3 jours après le prélèvement. Résultats rendus dans les 7 jours : 93,6 %. Prélèvements arrivés au laboratoire en bonne condition : 99,8%. Le génotypage rougeole réalisé en 2023 montre que la souche B3 était en circulation.
Pour la Fièvre jaune ; 4 cas ont été confirmés positifs : 1 cas dans la zone de santé de Tshikapa ; 1 cas dans la ZS de Kahemba et 2 cas dans la ZS de Ipamu.
La réalisation de ces différentes activités est confrontée à plusieurs difficultés telles que : le refus de services de certains transporteurs des échantillons en période d’épidémie et l’irrégularité des vols commerciaux dans certaines provinces.
Le professeur Mumba, représentant du Professeur Muyembe, Directeur Général de l’INRB à cette réunion de travail, a émis le vœu de pouvoir renforcer les capacités du personnel du laboratoire de génomique de l’INRB pour le génotypage et ainsi réduire les difficultés de transport d’échantillons.
Le professeur Octavie Lunguya Cheffe du Département de Bactériologie et recherche, à son tour, a présenté l’état de lieu de la surveillance des bactériémies et la résistance aux antibiotiques en République Démocratique du Congo entre 2007 et 2023 et les résultats de cette surveillance qui a permis à l’équipe de se lancer dans l’étude des formes graves de la fièvre typhoïde en RDC et dans certains pays d’Afrique, dans la période allant de 2017 à 2022 chez les enfants. En RDC parmi les provinces concernées figure le Kongo central où une étude sur un essai clinique vaccinal est mis en place.
Pour la surveillance des bactériémies, un réseau de surveillance est opérationnel dans 5 provinces jusque-là, il s’agit du Kongo Central, du Kwilu, du Sud-Ubangi, de Kinshasa et de la Tshopo, où l’on prélève les hémocultures des cas suspects de résistance chez les enfants de 0 à 14 ans d’une part et chez l’adulte de plus de 14 ans d’autre part, dans l’objectif d’étudier le mode d’action de bactéries, surveiller la résistance, investiguer les épidémies et mener les recherches opérationnelles. Il en ressort que la résistance des antibiotiques de première intention pour la prise en charge de la fièvre typhoïde est de plus en plus inquiétante.
Pour ce projet d’étude, la maintenance des équipements est la difficulté majeur, suivi de la difficulté liée à la rupture des stocks de certains matériels, ce qui bloque l’élargissement du projet à d’autres provinces, il faut ajouter à la liste des difficultés, le manque de subventions financières au niveau du pays, l'accès limité de l'électricité dans certains sites et le manque de surveillance génomique locale des bactéries isolées du sang dont les cinq concernées par ce projet.
Parallèlement, le représentant du Département d’Épidémiologie et Santé Globale, Monsieur Emmanuel Lokilo a présenté l’expérience de la génomique des pathogènes en RDC. Cette présentation était le résumé de comment la RDC a fait face aux différentes vagues des épidémies grâce au Laboratoire de Génomique des Pathogènes de l'INRB. D’abord avec la plateforme illumina en 2018 puis à partir de 2020, ce panel des instruments s’est étendu à la plateforme Nanopore, ce qui a permis le séquençage des échantillons des autres vagues des épidémies qui ont suivis. Ces différentes acquisitions en matériels et en formation des équipes, ont permis à la RDC d’appuyer plusieurs autres pays africains (Cameroun, Tchad, République Centrafricaine, Gabon, Congo-Brazzaville…) à séquencer leurs échantillons et à former son personnel durant les épidémies d’Ebola et de Covid-19.
Au niveau national, hormis le laboratoire de génomique de Kinshasa, l’INRB a implémenté un autre laboratoire de génomique des pathogènes à Goma qui permet le séquençage d’autres types de pathogènes. Cette extension se fera dans les autres provinces de la RDC dans les jours avenir.
Le Professeur Mandoko, Chef du Service de Paludisme à l’INRB, a exposé sur la surveillance des combinaisons thérapeutiques à base d’artémisinine (artemether-lumefantrine et artesunate-amodiaquine) dans la prise en charge du paludisme non compliqué à plasmodium falciparum chez les enfants de moins de 5 ans. Selon une étude récente des équipes de l’INRB, depuis 2018, la RDC a constaté une résistance partielle à l’Artémisinine dans ses différents pays voisins dont le Rwanda, l’Uganda et la Tanzanie.
Pour la RDC, qui dispose de deux combinaisons thérapeutiques (artemether-lumefantrine et artesunate-amodiaquine) en vigueur depuis 2005 et 2010 pour la prise en charge du paludisme non compliqué à plasmodium falciparum, un test d’efficacité thérapeutique est effectué tous les deux ans selon les directives de l’OMS. Cette étude encore en cours, a lieu depuis 2020 dans six sites sentinelles et a pour objectifs ; l’évaluation de l’efficacité et l’innocuité des combinaisons thérapeutiques à base d’Artémisinine (artemether-lumefantrine, artesunate-amodiaquine) et la détermination de la proportion des sujets ayant un échec thérapeutique précoce, un échec parasitologique tardif, un échec clinique tardif et une réponse clinique adéquate.
Les études se tiennent dans six sites sentinelles dont Boende (Tshuapa), Kabondo (Tshopo), Rutshuru (Nord-Kivu), Kapolowe (Haut-Katanga), Mikalayi (Kasaï-central) et Kimpese (Kongo-central).
Concernant les échecs thérapeutiques:
- La combinaison Artesunate-Amodiaquine : plus de la moitié des cas ont accusés un échec à Rutshuru ;
- La combinaison Arthemether-Lumefantrine : échec sur plus de la moitié des cas à Mikalayi;
- Le site de Boende a exceptionnellement accusé un échec thérapeutique tardif pour les deux combinaisons
Concernant l’efficacité thérapeutiques:
- Pour le site de Kimpese, l’efficacité est autour de 82% pour la combinaison Arthemether-Lumefantrine et 86% pour la combinaison Artesunate-Amodiaquine
- Pour le site de Rutshuru, la combinaison Arthemether-Lumefantrine a une efficacité de 72%, et 45% pour la combinaison Artesunate-Amodiaquine
- Kapolowe : Arthemether-Lumefantrine 98% et Artesunate-Amodiaquine autour de 100%
- Kabondo: Artemether-Lumefantrine 84% et Artesunate-Amodiaquine 99%
- Mikalayi: Artemether-Lumefantrine 47% et Artesunate-Amodiaquine 71%
- Boende: Artemether-Lumefantrine 58% et Artesunate-Amodiaquine 60%
Aux échecs thérapeutiques s’ajoutent les souches de résistances dont une étude en cours sera publiée cette année. Des défis énormes pour le grand Congo (26 provinces) :
- Correction PCR qui prend beaucoup de temps ;
- Difficultés financières pour appuyer les études à réaliser ;
- Manque de projet de recherche sur la surveillance moléculaire ;
- Insécurité et difficulté d’accès au site de Rutshuru (site sous occupation militaire).
Avant de clore les échanges, le professeur Dieudonné Mumba, Chef du Département de Parasitologie à l’INRB, a présenté la situation actuelle de la Trypanosomiase Humaine Africaine (THA) en RDC en se basant sur les résultats du laboratoire Nationale de référence pour la Trypanosomiase Humaine Africaine (centre collaborateur de l’OMS) qui utilise trois tests de références :
- La trypanolyse (le test le plus spécifique pour détecter la THA)
- Les ELISA
- Les tests moléculaires
Pour ces trois tests, les échantillons proviennent non seulement de la RDC mais aussi d’autres pays d’Afrique centrale (Angola, Sud-Soudan, Congo-Brazzaville, République Centrafricaine, Gabon et Cameroun). L’INRB produit également des tests diagnostiques (mini colonne, très sensibles dans le diagnostic de la THA) et les kits de prélèvements pour pallier aux soucis de transport des échantillons de qualité.
A la fin de la séance de travail, l’équipe de la DLS a bénéficié d’une visite guidée des locaux de quelques laboratoires de l’INRB